Pseudobelus bipartitus BLAINVILLE, 1827
Indices et évolution pour l'espèce : Les tableaux et graphiques sont disponibles en annexe 2 et les figurations sur les planches I à IV
752 spécimens ont donné mesures et indices au Valanginien, aucun spécimen n’a été trouvé à l’Hauterivien.
La longueur des rostres (Lre)
(cf. annexe 2-B)
On l’a vu, Ps. bipartitus peut atteindre une taille nettement supérieure à celle signalée jusqu’ici. Les « éperons géants » de DUMAS peuvent dépasser les 145 cm. Ces grands adultes sont très rares. Seuls 32 rostres sur les 666 (4,5%) ayant donné Lre atteignent ou dépassent les 110 mm. Sur cette population de grands adultes, seul un spécimen a été récolté au Valanginien supérieur 3, tous les autres provenant des premiers niveaux de l’étage (Valanginien inférieur et Valanginien supérieur 1) mais des tronçons non mesurables prouvent néanmoins l’existence de rostres de relativement grande taille (estimés autour de 100 mm) au sommet de l’étage. Si les problèmes de conservation des rostres, déjà évoqués, jouent un rôle dans l’estimation de la longueur des rostres, il n’en demeure pas moins que les plus grands spécimens proviennent du Valanginien inférieur. Cette constatation est renforcée par la diminution des valeurs moyennes de Lre au Valanginien supérieur.
L’histogramme des valeurs de Lre pour Ps. bipartitus montre également un déséquilibre en faveur des rostres de taille modeste : près de 62% des rostres étudiés ont une valeur Lre inférieure à 70 mm, traduisant un taux de mortalité important chez les juvéniles.
La compression (Ic et Ics)
(cf. annexe 2-C)
La compression postérieure (Ic = Hm/Lm) :
L’indice est calculé à partir des valeurs de Hm (Hauteur médiane du rostre qui correspond à sa hauteur maximale et Lm, largeur médiane prise au même niveau). 620 spécimens ont donné une valeur moyenne de compression de 1,29 pour des valeurs extrêmes entre 1,05 et 1,61. La répartition des valeurs de Ic montre une répartition en faisceau n’admettant que peu de variabilité individuelle. L’histogramme, régulier, donne une acmé des valeurs entre 1,20 et 1,29 (42,3%).
En rapportant les valeurs moyennes de Lre aux valeurs de Ic, on constate une double évolution : en fonction des stades de croissance et de la position stratigraphique (annexe 2-C, tabl. 2, fig. 3).
- La compression connait une variation avec le stade de croissance. Les rostres les plus comprimés correspondent aux individus les plus juvéniles. Cette compression tend à décroitre avec l’épaississement du rostre au cours de la croissance, jusqu’à atteindre, pour les grands adultes de la base du Valanginien, un indice de compression postérieure se rapprochant de 1, donc de spécimens presque aussi larges que hauts postérieurement.
Fig. 5 : Série de coupes médianes de rostres d'un même affleurement et du même niveau stratigraphique (Val. sup. 1), montrant l’épaississement progressif du rostre au cours de la croissance.
- D’autre part, l’évolution des valeurs de Lre au cours du Valanginien montre une diminution de taille des rostres, déjà évoquée, mais également une tendance à une plus grande compression des rostres d’adultes. D’une manière générale, les rostres, plus comprimés, sont également plus petits et plus graciles au Valanginien supérieur.
La compression antérieure (Ics = Hs/Ls) :
Cet indice est calculé à partir des valeurs de Hs et Ls prises dans la partie antérieure la plus étroite correspondant à la zone où sont visibles en même temps le sillon dorsal et les rainures latérales. Cette zone du rostre présente, chez les individus de grande taille, une largeur presque égale à la hauteur et un aplatissement des côtés qui lui donnent un aspect le plus souvent quadrangulaire. Chez les juvéniles, cette partie du rostre est plus étroite, et donc plus fragile, et correspond fréquemment à une zone de fracture.
366 spécimens ont donné cet indice, pour une valeur moyenne de 1,13 et des valeurs extrêmes comprises entre 0,96 et 1,43.
Dans les spécimens ayant donné des valeurs extrêmes, on note d’un côté des spécimens très comprimés, correspondant à des juvéniles (15 sp., Ics > 1,30, soit environ 4 % de la population pour une valeur moyenne de Lre à 44 mm), de l’autre de grands adultes qui en arrivent même à être plus larges que hauts (12 sp., environ 3% de la population, Ics < 1 pour une valeur moyenne de Lre à 96 mm).
Ces observations sont confirmées par une analyse comparative par niveaux stratigraphiques des valeurs moyennes de Lre rapportées à Ics. Cette analyse montre, comme pour l’indice de compression postérieur, un épaississement du rostre selon le stade de croissance atteint par la Bélemnite. Par contre, une évolution en fonction du niveau stratigraphique ne peut être dégagée, l’indice se montrant d’une grande stabilité dans ses valeurs moyennes tout au long du Valanginien.
La dilatation (Id-lat et Id-dv)
(cf. annexe 2-D)
La dilatation latérale (Id-lat = Hm/Hs) :
Le calcul d’un indice de dilatation latéral s’est, dans un premier temps, révélé problématique en raison de la rareté des spécimens complets. L’option de calculer la dilatation par rapport à une valeur de longueur du rostre estimée (Lre) a été écartée au profit d’un calcul utilisant des valeurs exactes, Hm et Hs.
La valeur moyenne de cet indice est de 1,14 pour des valeurs extrêmes entre 0,97 et 1,50. La dilatation est relativement peu importante chez une majorité de spécimens de Ps. bipartitus mais il existe une variabilité individuelle à tous les stades du développement. Certains rostres, même très juvéniles, présentent une dilatation latérale qui leur donne un aspect hasté, alors que d’autres, de tous âges, peu dilatés sont réduits à une sorte de bâtonnet à côtés parallèles, l’apex étant, chez bipartitus, souvent absent. Trois spécimens du Valanginien supérieur niveau 1 (zone à verrucosum) présentent même la particularité d’une dilatation totalement absente qui les rend plus hauts dans la partie antérieure. Tous les termes de passages sont présents, du moins au plus dilaté. On ne peut dégager aucun schéma de développement de la dilatation lié à la croissance du rostre en rapportant les valeurs de Id-lat aux valeurs moyennes de Lre. De même, aucune évolution de l’indice n’apparait au cours du Valanginien.
Dilatation dorso-ventrale (Id-dv = Lm/Ls) :
Cet indice, basé sur le rapport entre la largeur prise à la base de la partie médiane et la largeur antérieure, a pu être établi pour 313 spécimens. Il s’établit autour de 1 (valeur moyenne : 1,02). Pour une large majorité d’individus, le rostre présente donc une largeur constante en vue dorso-ventrale (78% des rostres mesurés ont une valeur de Id-dv comprise entre 0,90 et 1,09). On note également une variabilité individuelle plus marquée que pour les autres indices, certains individus se révélant plus larges dans leur partie postérieure (presque 18% des rostres) ou plus resserrés dans leur partie antérieure et présentant de ce fait un Indice de dilatation dorso-ventral relativement important. Enfin quelques individus sont plus larges antérieurement que postérieurement.
On ne distingue aucune évolution notable de l’indice avec la croissance du rostre ou selon le niveau stratigraphique.
L’angle de la partie apicale
(cf. annexe 2-E)
Lorsqu’il est parfaitement complet, l’apex aigu est terminé par une très fine pointe, souvent déviée. Cette pointe, du fait de sa fragilité, n’est conservée qu’exceptionnellement et il arrive d’ailleurs que cette mutilation soit intervenue du vivant de la Bélemnite.
Il n’a donc pas été possible d’obtenir un échantillon statistique significatif pour la mesure de la longueur de la partie apicale. En revanche, même en l’absence de la pointe de l’apex, l’angle apical est mesurable. Il s’établit autour de 16° en moyenne, avec des valeurs extrêmes comprises entre 9° et 26°. Plus des trois quarts des spécimens ont un angle apical compris entre 13° et 20°. Aucune évolution en fonction du stade de croissance ou du niveau stratigraphique ne se dégage.
Le sillon dorsal et les rainures latérales
(cf. annexe 2-F)
Le sillon dorsal :
Il est présent sur tous les rostres étudiés et part de la cavité alvéolaire. Sa longueur diffère selon les individus mais chaque rostre étudié possède une partie, plus ou moins longue, où le sillon dorsal et les rainures latérales sont visibles en même temps. C’est donc à partir de ce repère, qui correspond à la zone de prise de mesure de Hs et Ls, que le sillon dorsal a été mesuré (L3si). Cette mesure a été rapportée à la longueur totale du rostre (Lre) pour comparaison. La valeur moyenne de ce rapport est de 17% (pour 214 spécimens) pour des valeurs extrêmes de 3% à 42% de la longueur estimée du rostre.
La longueur de ce sillon, sa profondeur ou sa largeur sont très variables et sans rapport avec le stade ontogénique ou le niveau stratigraphique. Un spécimen présente un sillon remarquablement large mais aucun sillon franchement dédoublé n’a été observé. Un autre spécimen offre un sillon dorsal et une strie ventrale si prononcée qu’on la prendrait pour un deuxième sillon. DUVAL-JOUVE avait d’ailleurs déjà signalé un spécimen présentant cette particularité (1).
Les rainures latérales :
Si elles sont l’élément le plus caractéristique du genre Pseudobelus, permettant une identification immédiate du moindre tronçon, elles sont également en grande partie responsables du fractionnement des fossiles. Leur profondeur et leur position varient en fonction de la section du rostre concernée, elles ont donc été étudiées selon ces deux critères.
Elles débutent dans la zone la plus étroite du rostre, par un aplatissement triangulaire avant de se creuser progressivement pour atteindre une profondeur maximale au niveau de la prise de mesure de Hm et Lm. C’est donc à ce niveau que leur profondeur (Pr) a été mesurée pour être rapportée à la largeur du rostre (Pr/Lm). De profondeur différente selon les individus, elles peuvent entailler le rostre sur presque un tiers de sa largeur. Une majorité de spécimens (60% environ) présentent une profondeur comprise en 10 et 19% de la largeur du rostre (valeur moyenne Pr/Lm = 16 % de Lm). Il arrive aussi que certains individus montrent un effacement partiel d’une des deux rainures latérales.
De même la position des rainures change d’un individu à l’autre. Les rostres peuvent être classés en 3 lots : rainures centrées (54% pour 548 spécimens), déviées ventralement (37%), ou déviées ventralement sur un côté et dorsalement de l’autre (9%). Ce dernier cas de figure entraine une torsion du rostre pouvant aller jusqu’à une véritable malformation. Il peut également se produire un dédoublement de la partie postérieure des rainures.
- DUVAL-JOUVE J. 1841. Bélemnites des terrains crétacés inférieurs des environs de Castellane, variations : p.42.
Les stries longitudinales
(cf. annexe 2-G)
On l’a déjà évoqué avec le spécimen de référence 3101, Ps. bipartitus peut présenter de fines stries longitudinales. Après un nettoyage soigneux de 688 spécimens, il apparait que l’immense majorité des rostres (86%) montre ces striures, de façon plus ou moins marquée selon les individus.
Une échelle de valeurs en 5 catégories a été mise en place pour prendre en compte l’intensité de ce phénomène, illustrée planche IV par les figures 1 à 4 :
Valeurs de la striation
- Lisse : aucune strie visible.
- Intensité 1 : les stries sont peu nombreuses (parfois juste 1 ou 2) et visibles uniquement à la loupe, en lumière rasante).
- Intensité 2 : un peu plus marquées, les stries sont plus nombreuses, visibles à l’œil nu.
- Intensité 3 : les stries sont nombreuses et bien marquées, souvent plus abondantes dans la région apicale.
- Intensité 4 : les stries très nombreuses entament profondément le rostre allant jusqu’à le déformer. Pour cette catégorie, impossible d’établir une estimation de la longueur du rostre (Lre), faute de mesures fiables.
Il existe une relation entre la taille du rostre et l’intensité de la striation (fig.6). En rapportant les valeurs moyennes de la longueur des rostres (Lre) selon les quatre premières catégories définies pour prendre en compte les striures, on remarque une corrélation entre le stade de croissance atteint par la Bélemnite et l’intensité des stries. Ainsi, les rostres très juvéniles et juvéniles présentent, le plus souvent, une surface lisse ou parcourue de stries si peu marquées qu’elles en sont difficilement discernables (intensité 1). Le nombre et l’intensité des stries augmentent progressivement avec l’âge jusqu’à atteindre pour les grands spécimens une intensité 3.
Fig. 6 : Rapport entre l'intensité des stries et la longueur des rostres.
Quelques individus, pour certains peut-être très âgés, sont couverts de stries si profondes et si denses, d’intensité 4, qu’elles finissent par occasionner des malformations. Deux spécimens apportent un éclairage particulier sur l’importance de la striation chez Ps. bipartitus.
Le spécimen 89776, presque complet, est fortement strié dans ses parties médiane et postérieure, déformé au point d’être cylindrique avec un effacement partiel des rainures latérales. L’ensemble de la silhouette est déviée latéralement.
Le spécimen 53209 porte de nombreuses stries d’intensité 4 qui l’ont déformé. Sa coupe (fig.7) montre les cernes d’accroissement du rostre au fil de la croissance. On y voit le stade bien lisible où le rostre avait encore une section régulière puis l’apparition des stries et leur creusement progressif qui finit par impacter la forme de la coupe. Les nombreuses stries apparaissent sur les cernes de croissance à des stades différents, sans rapport avec un évènement ponctuel du type attaque de prédateur.
Fig. 7 : Coupe du sp.53209 montrant les cernes d'accroissement du rostre.
L’origine de ces stries semble donc pouvoir être imputée à au tissu vivant entourant le rostre, l’emprise de ce tissu se faisant plus prégnante au fur et à mesure de la croissance de celui-ci.
Quelques rares individus néanmoins (moins de 2%) ne répondent pas à ce constat général et présentent des stries plus ou moins intenses à un niveau précoce ou, a contrario, une surface lisse pour un spécimen de grande taille.
Il existe également une évolution de la striation en fonction du niveau stratigraphique (fig.8).
On constate en effet une tendance à l’augmentation progressive du nombre de spécimens présentant une forte intensité de striation au détriment des spécimens d’intensité 1. Le pourcentage de spécimens lisses, très juvéniles, reste lui relativement stable.
Fig. 8 : Relation entre l'intensité de la striation et le niveau stratigraphique.
Les malformations et le parasitisme
(Cf. figurations planche IV ; annexe 2-H)
Les malformations :
Sur un lot de 752 spécimens, 50 sont affectés par des malformations, soit presque 7% de la population.
On l’a vu, une partie de ces malformations trouve son origine dans l’importance de la striation qui en vient à déformer le rostre. C’est le cas pour environ la moitié des rostres présentant une malformation. Mais on constate également une variation en fonction du niveau stratigraphique : plus on progresse dans le Valanginien, plus le nombre de rostres affectés par des malformations dues à une striation importante augmente (de 0,7% au Valanginien inférieur à 6% au Valanginien sup.3/terminal). Ce qui est cohérent avec l’augmentation générale de la striation au cours du Valanginien (cf. fig.8).
Une autre cause majeure de déformation provient de la déviation des rainures latérales qui, lorsqu’elle est très importante, peut aller jusqu’à une torsion du rostre, surtout si celui-ci est peu dilaté.
Enfin quelques spécimens présentent des déformations spectaculaires, probablement d'origine traumatique. Deux d’entre eux sont réduits à une boule, un autre épaissi, raccourci avec un apex dévié et un autre enfin, le sp.3196, présente un cas de régénération étonnant. Le rostre, sans doute brisé partiellement en plusieurs morceaux lors d’une blessure, s’est reconstitué avec l’apex pointant désormais vers l’avant. L’état du rostre ainsi reformé prouve que la Bélemnite a survécu un certain temps malgré la gêne occasionnée par cette déformation.
Le parasitisme :
Le parasitisme par Crustacés acrothoraciques est fréquent au Valanginien inférieur. Il affecte près d’un tiers des rostres de Ps. bipartitus à ce niveau. Une comparaison avec d’autres espèces de Bélemnites contemporaines montre que cette espèce est fortement impactée.
Valanginien inférieur |
Pop. totale |
Pop. parasitée |
% de la pop. |
Berriasibelus extinctorius |
653 |
86 |
13% |
Duvalia lata |
250 |
37 |
15% |
Mirabelobelus sp. (‘Belemnites bicanaliculatus’) |
278 |
71 |
25% |
Pseudobelus bipartitus |
151 |
48 |
32% |
Ces résultats sont néanmoins à considérer avec prudence faute de données sur la ou les espèces de Crustacés acrothoraciques, les modes de vie des différentes espèces de Bélemnites, leur longévité…) Dans la majorité des cas, les loges des spécimens parasités sont très nombreuses mais de très petite taille (≤ 0,5mm). Cinq rostres sur les 48 présentent des loges de deux tailles différentes.
Le parasitisme tend à disparaitre ensuite très rapidement puisqu’il n’affecte plus que 3% des rostres de bipartitus dans la zone à verrucosum alors que l’on peut le constater sur 15% des rostres de Duvalia emerici (155 sp. sur une population de 1105 sp.).
Aucun spécimen parasité de Ps. bipartitus n’a été relevé dans la population des niveaux supérieurs du Valanginien (niveaux 2, 3 et terminal). On peut aussi faire ce constat pour d’autres espèces de Bélemnites à ces niveaux, très peu ou pas parasitées (Duvalia binervia/hybrida : moins de 1,5 % sur 1728 rostres). Ces diminutions successives du parasitisme au Valanginien correspondent aux crises biologiques déjà évoquées. Les profonds bouleversements qu’elles ont induits ont certainement eu un impact sur l’ensemble des écosystèmes, ce qui pourrait expliquer la quasi-disparition du parasitisme par acrothoraciques au Valanginien supérieur.