Céphalopodes crétacés

Historique

LES CIRCONSTANCES D'UNE DECOUVERTE

     Un vaste jardin du quartier Saint-Roch à Nice, depuis longtemps à l'abandon et envahi par les herbes folles. Occupant un angle de cet espace, clos de murs écrêtés, une ancienne maison particulière fort délabrée et, à l'opposé, un vaste hangar ruiné. A proximité de la maison, un appentis ouvert à tous les vents ...

     Tel était le spectacle peu engageant qui s'offrait à mes yeux et à ceux des étudiants du Certificat de Géologie de la Faculté des Sciences qui, en 1967, m'avaient servi de guides en ces lieux. Des circonstances tout à fait fortuites avaient en effet amené l'un d'eux à entrer en possession de fossiles récoltés dans cette cour ... Découverte inusitée et intéressante qui demandait confir­mation. Effectivement, à même le sol, se trouvaient des fossiles épars, dont certains fort beaux, cependant que dans le hangar gisaient les débris en partie calcinés d'une bibliothèque scientifique. L'examen de l'appentis, où le spectacle était encore plus navrant, devait nous fournir la clé de ce mystère. Le sol était jonché de débris d'ouvrages - certains d'une grande rareté, tel le Dictionnaire d'Histoire Naturelle de Ch. d'ORBIGNY, de correspondance et de feuilles d'herbiers décomposés, cependant que des meubles à collections, effondrés et vidés de leur contenu, garnissaient encore les murs.

     L'examen des dédicaces d'ouvrages et du courrier nous livra rapidement l'identité de l'ancien propriétaire des lieux : nous nous trouvions en présence de ce qui, voici cent ans, avait été le cabinet d'histoire naturelle de Philippe GENY.

     Les circonstances romanesques qui entouraient cette découverte m'amenaient à me pencher de plus près sur la personnalité attachante de ce naturaliste et à reconnaître que, parmi ceux qui au XIXème siècle ont contribué à la connaissance de notre région des Alpes-Maritimes et plus parti­culièrement des environs de NICE, la place qu'il occupe est trop modeste au regard de son œuvre véritable. Cette position effacée est due au fait que peu de publications s'attachent à son nom, la majeure partie de ses travaux étant demeurée inédite. Cet amateur se consacra cependant avec bonheur aux diverses branches de l'histoire naturelle : en Botaniste, il constitua un impor­tant herbier, entièrement détruit mais dont j'ai pu juger de l'ampleur par les cartons qui le renfermaient; en Zoologiste aussi bien qu'Artiste animalier, il illustra les espèces nouvelles de Mollusques décrites par A. RISSO ; en Préhistorien, il s'intéressa aux remplissages quaternaires du château de NICE et des Roches rouges de GRIMALDI et réunit les éléments d'une intéressante collection. Mais, l'essentiel de son œuvre scientifique touche à la Géologie et à la Paléontologie et c'est cet aspect seulement, sur lequel les documents sont de loin les plus abondants, qui sera envisagé ici. 

PHILIPPE GENY : L'HOMME

     Il importe, auparavant, d'essayer de mieux connaître l'homme. Trois textes en ma possession apportent des éléments intéressants à ce sujet. Il s'agit tout d'abord du brouillon d'une demande adressée par Ph. GENY au “Syndic et Conseiller de la Ville de NICE” en vue de la sollicitation d'un poste de Professeur à l'Ecole d'Agriculture de NICE (cf. pièces annexes). Ce sont ensuite un Faire-Part du Décès de Ph. GENY, paru dans le “Journal de NICE”, ainsi qu'une photocopie de l'acte de Décès que je dois à l'obligeance des Services de l'Etat Civil de la Ville de NICE.

     A la lumière de ces documents, il ressort que Philippe GENY était né à STRASBOURG en 1809. Fils de Marie WINTER et d'Etienne GENY, jardinier en chef du Jardin Botanique de STRASBOURG, il se fixa à NICE dès 1833, où il épousa une Niçoise et résida “Chemin de St-Roch”, villa GENY. Durant de longues années, il fut employé municipal, en qualité d' “Inspecteur des plan­tations”.

     Membre de la Société des Lettres, Sciences et Arts des Alpes-Maritimes, de la Société Géologique de France, etc.... Ph. GENY était en rapports suivis avec des personnalités scientifiques réputées de son temps, notamment avec le naturaliste britannique Thomas DAVIDSON. C'est du reste à cette circons­tance particulière que nous devons d'avoir connaissance de l'essentiel de son œuvre.

     Il devait mourir à NICE, le lundi 24 mai 1875. “à midi, d'une attaque d'apoplexie foudroyante tandis qu'il se promenait sur le quai St Jean-Baptiste”[1].

 

[1] “ Le Journal de Nice”, 27 mai 1875.

L'ECOLE NATURALISTE DE NICE

     Il n'est pas possible d'évoquer la figure de Ph. GENY sans la resituer dans le contexte d'une époque particulièrement attachante où de nombreux naturalistes de diverses nationalités commençaient à visiter notre région, mais où également se constituait une véritable Ecole niçoise de Naturalistes.

     Parmi les premiers, je citerai FAUJAS DE SAINT-CLOUD, HOMALUS D'HALOY, le Baron CUVIER, DE LA BECHE, BUCKLAND, DAVIDSON, DE TCHIHATCHEFF, puis COQUAND et HEBERT.

     Pour les seconds, le nom d'A. RISSO vient évidemment tout d'abord à l'esprit puisqu'il apparaît comme le véritable chef de file de cette lignée. S'y ajoutent ceux de VERANY, fondateur du premier cabinet public d'histoire naturelle de la Ville de NICE, à l'origine de l'actuel Musée municipal, du Chevalier PEREZ, de CANŒRE, du Comte de CHAMBRUN, ainsi que de géologues piémontais dont les travaux ont plus particulièrement contribué à faire connaître le sous-sol du pays niçois : PARETO, SISMONDA, BELLARDI...

     Thomas DAVIDSON, qui était en relations suivies avec Philippe GENY et a été reçu par celui-ci lors d'un voyage dans le Sud de la France, lui a rendu hommage en ces termes:

     “Mr GENY, who from his varied acquirements in Natural History, Geology, Palaeontology, Botany, and Archaeology, has been locally styled the « Buffon of Nice », alone possesses in the town a really scientifically classed and nearly complete local collection, which he shows with the utmost courtesy to all those who desire to become acquainted with the products of the district. Besides conducting me to the most important localities, he afforded me much the information I propose to give here.”[1]

Cette appellation de « Buffon de Nice» peut paraître trop flatteuse, voire étonnamment excessive de la part d'un Britannique. Il n'en demeure pas moins exact, d'après les documents manuscrits que j'ai pu consulter et les appré­ciations convergentes sur les collections réunies par GENY, que celui-ci s'était directement inspiré de l'esprit d’Antoine RISSO, qui se retrouve également chez Jean-Baptiste VERANY et qui était celui du temps.

 


[1] Notes on the Geology and Palaeontology of the Neighbourhood of Nice, Geological Magazine, vol. VI, n° 7, July 1869.

Pour en savoir plus sur les naturalistes niçois, nous vous proposons de découvrir le travail de Luca Barale : "The early geological exploration of the Nice region (French Maritime Alps) in the late 18th–19th centuries".

 

L'ŒUVRE GEOLOGIQUE DE PH. GENY

     Au moment du rattachement du Comté de NICE à la France, peu de natu­ralistes s'étaient encore véritablement intéressés à la Géologie de notre sous­-sol. En dehors du travail d'A. RISSO (1826) qui, en dépit de ses faiblesses demeure la première Somme touchant au pays niçois, les auteurs se sont essentiellement consacrés à l'étude des environs immédiats de NICE, ainsi qu'à la description des axes routiers majeurs (les corniches et la route du Col de Tende). A noter l'intérêt tout particulier que, pour la plupart, ils ont apporté aux formations crétacées et nummulitiques, dont la distinction n'était pas encore assurée.

     En définitive, en 1860, la région des Alpes-Maritimes n'est encore connue que de façon très imparfaite, les lacunes l'emportant de beaucoup sur les faits acquis avec certitude. De vastes régions demeurent totalement inexplorées et, par exemple, aucune observation n'a encore été publiée sur le Massif de l'Argentera-Mercantour, ainsi que sur la majeure partie des bassins du Var et de ses affluents. C'est à cette tâche d'exploration méthodique, demeurée méconnue, que va s'attacher Ph. GENY, ainsi qu'il est possible d'en juger d'après les rares publications qu'il a laissées et les documents inédits et frag­mentaires qui sont entre mes mains. 

1. L'œuvre publiée

     Elle est fort peu importante quantitativement, puisque GENY n'a fait paraître que quatre communications, de 1867 à 1873, dont la principale (1869) passe généralement inaperçue étant attribuée dans la littérature à DAVIDSON.

     En 1867, à l'occasion de la 33e session du Congrès Scientifique de France, il présente un travail sur les Ammonites du département des Alpes-Maritimes, dans lequel se trouve mentionnée la récolte, au-dessus de Drap, d'une Ammonite de très grande taille (environ 2 m de diamètre, dont un tour de 1,60 m prélevé), dans des circonstances qui sont explicitées par ailleurs dans une lettre à DAVIDSON (cf. document en annexe). D'après les précisions apportées par GENY, cette Ammonite, nommée par lui Ammonites Navis ­Neptuni, provient de l'étage Cénomanien.

     Je dois dire que cette découverte est conforme à mes propres observations sur les dépôts de cette partie du Crétacé moyen dans le Sud-Est de la France, où les Céphalopodes de très grande taille appartenant aux genres Puzosia et Austeniceras se rencontrent parfois. Mais l'échantillon récolté par GENY d'après les dimensions qu'il en a données, correspond à la plus grande Ammonite qui ait jamais été récoltée dans notre région et même très proba­blement en France[1].

     Fort heureusement, ce remarquable fossile n'a pas été perdu. Expédié par les soins de Ph. GENY à LONDRES, il est toujours, depuis lors, déposé dans les collections du British Museum.

     En 1869, Ph. GENY communiqua à Th. DAVIDSON un résumé de ses observations géologiques sur les Alpes-Maritimes, que l'auteur britannique inséra, sous Ie titre “General summary of a Geological Section of the Department of the Maritime Alps» dans ses « Notes on Continental Geology”.

     Ce travail, qui a peu retenu l'attention, méritait cependant un meilleur sort. Il constitue en effet, la première énumération des terrains de notre région, avec lithologie, puissance, faune, pour les dépôts sédimentaires et citations de nombreuses localités dont beaucoup apparaissent pour la première fois dans la littérature scientifique. Son importance est donc fondamentale pour l'époque. Mais, il a été desservi par l'absence de coupes et de carte, et le fait que l'auteur a donné trop de noms qui souvent ne corres­pondent qu'à des lieux-dits ou des quartiers et sont de ce fait difficiles à localiser avec précision faute d'une connaissance parfaite de la région, certains n'étant même pas portés sur nos actuelles cartes topographiques !

     Il est vrai que Ph. GENY se proposait de reprendre ce travail en le détail­lant, mais son décès subit ne lui en n’a pas laissé le temps.

 

[1] A titre de référence. Les plus grands spécimens d'Ammonites connus dans le Monde, appartenant au même Ordre des DESMOCERATACEAE, proviennent du Crétacé supérieur d'Allemagne et atteignent 2,40 m de diamètre.

2. L'œuvre inédite

     Elle ne m'est connue que de façon fragmentaire, d'après les quelques manuscrits en ma possession.

     Il apparaît que GENY s'est attaché à réaliser une synthèse de Géologie régionale, illustrée d'une Carte en couleur du département et de coupes sériées.

     Cet ouvrage n'a jamais vu le jour, les efforts de son auteur pour tenter une souscription publique étant demeurés vains (cf. documents annexes). Il devait s'intituler :  “Guide du Géologue dans les environs de Nice et les Alpes-Maritimes.”

      Dans l'introduction de son manuscrit, Ph. GENY précisait de la sorte ses intentions:

“GUIDE DU GEOLOGUE.

  • Indications des plus intéressantes localités zoogéologiques des Alpes-­Maritimes.
  • Données par ordre de superposition.
  • Représentées sur la Carte par des teintes conventionnelles.
  • Ainsi que les hauteurs des principales montagnes et villages remarquables désignées sur la Carte géologique de Nice ont été puisées sur différents ouvrages de plusieurs savants auteurs auxquels il m'est cher de témoigner toute ma reconnaissance.

N. B. (1) Les hauteurs des localités sont données en mètres au-dessus du niveau de la mer. (2) Les distances de la Capitale des Alpes-Maritimes (NICE) sont prises en lieues ordinaires. C’est-à-dire 4000 mètres par lieue ou heure.”

 

     Il m'est impossible, dans les limites de cette brève notice de reproduire ici, dans leur intégralité, les textes de GENY qui sont entre mes mains. Ils comprennent essentiellement deux cahiers, ainsi que quelques feuillets.

     Le premier cahier donne la liste des localités par terrain de plus en plus ancien, de l' ”étage alluvionien”, aux “terrains cristallisés”. Le second consti­tue un “Catalogue des Animaux Vertébrés et Evertébrés (sic) se trouvant vivant et fossiles dans la circonscription de Nice”.

     L'ordre suivi est du “terrain triassique” à “l'étage subapennin”, avec description de terrains sédimentaires.

     L'examen de ces notes révèle, à côté d'erreurs flagrantes, la justesse de certaines des observations effectuées par Ph. GENY.

     On se rend compte, à leur lecture, que Ph. GENY possédait une excellente connaissance. Non seulement des proches environs de NICE, qu'il pouvait gagner à pied, mais encore de localités ou de chaînes montagneuses beau­coup plus difficiles d'accès à l'époque.

     C'est ainsi que l'on trouve de fréquentes mentions de St-Pons, près Nice, où les carrières livraient alors d'intéressants fossiles récifaux de la fin de la période jurassique, Drap, La Pallaréa et La Font-de-Jarrier près La Pointe-de­-Contes, le Vallon de la Nuit, au-dessus de Bon-Voyage, La Lauvette, dans les flancs du Mont-Macaron, toutes localités accessibles dans la journée à partir de Nice, mais également Les Ferres, Braus, Escragnolles, Utelle, la Montagne de Férillon (sic) et même la « chaîne principale des Alpes-Maritimes », le Boréon, Molières, Les Fenestres, Sestrières ...

     Ce travail devait être illustré des coupes sériées des Alpes-Maritimes, dont heureusement j'ai pu sauver une planche ainsi que de la fameuse carte géologique du département[1] à laquelle font allusion “Le journal de Nice” du 27 mai 1875[2] ainsi que Th. DAVIDSON (1869). Ce document unique est malheureusement perdu.

A noter enfin que la Carte et les Coupes furent présentées par GENY à l'occasion du Congrès Scientifique de France (Nice, décembre 1866).

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[1] La première à représenter l'ensemble des Alpes-Maritimes.

[2] Une superbe carte en relief du département à la confection de laquelle il a passé plusieurs années.

3. Les collections

     Elles étaient certainement fort importantes et d'un grand intérêt ainsi que l'on peut en juger d'après les catalogues de Gény et les allusions qui y ont été faites par divers auteurs. Parmi ceux-ci, DAVIDSON, dans sa communication de 1869, mais également POTIER, à l'occasion de la Réunion Extraordinaire de la Société Géologique de France à Nice, en 1877.

     Durant un demi-siècle, elles furent maintenues en état par les héritiers de Ph. GENY, puis firent de la part de ceux-ci l'objet d'une offre de vente à la Ville de Nice. Malheureusement. Cette proposition ne reçut pas de suite.

      Le pillage de cette collection paraît devoir se situer dans le courant des années 1960, dans des circonstances qui me sont inconnues.

     Pour terminer sur ce point, je préciserai que, parmi les quelques dizaines de spécimens qu'il m'a été possible de retrouver, se trouvent des Mollusques éocènes du Château de La Pallaréa et de la Font-de-Jarrier décrits et figurés dans le très rare mémoire de L. BELLARDI (1852). Certains de ces fossiles correspondent même à des types comme Ammonites telescopus figuré ci-après.

 

G. THOMEL